Les entreprises françaises sont visiblement à la traîne dans le digital. Non seulement elles sont en retard par rapport à leurs homologues européennes : d’après l’étude McKinsey réalisée en 2014, elles sont à peine 65% à avoir un site internet contre 75% des entreprises européennes, et seulement 19% à être présentes sur les médias sociaux contre 30% au niveau européen. Mais, plus étonnant encore, les entreprises françaises sont aussi en retard vis-à-vis de leurs propres concitoyens : les Français ont en effet très vite adopté les nouveaux usages du digital (e-commerce, mobilité, social,…) tandis que la majorité des entreprises hésitent encore à s’y lancer. L’étude montre bien ce décalage : 59% des Français achètent déjà en ligne quand seulement 11% des entreprises françaises vendent en ligne. Alors comment expliquer un tel décalage ?
Voici de quoi nous éclairer sur les principales raisons de cet écart :
1- Des organisations inadaptées
Arrivant en 1ère position et plébiscitées par plus de 45% des personnes interrogées, les « rigidités organisationnelles » de nos entreprises sont clairement pointées du doigt. Et pour cause, leur organisation en silos fait directement obstacle à la transversalité nécessaire à la réorganisation de l’entreprise autour de l’expérience client. Leur structure très compartimentée réduit considérablement la fluidité entre les métiers amputant d’autant la capacité de l’entreprise à se transformer. Le résultat, un manque flagrant d’agilité conduisant à une certaine lourdeur, lenteur, pour ne pas dire immobilisme. En fait, la bureaucratie à la française tant décriée par les entreprises aurait-elle déteint sur elles-mêmes ? Autre effet handicapant de cette organisation quasi militaire, la sur-spécialisation des compétences qui engendre un réel manque de polyvalence des collaborateurs de l’entreprise. Même si ce fonctionnement a ses avantages, il limite fortement la capacité des individus à se remettre en question et donc à évoluer, chacun préférant se cantonner à son confortable domaine d’expertise.
2- Le manque d’implication des dirigeants
En 4ème positionnement, les personnes sondées évoquent le « manque d’implication visible des dirigeants ». C’est en effet un facteur-clé pour engager la transformation. Qui mieux que le dirigeant pour sponsoriser une mutation aussi profonde de l’entreprise ? Avec lui tout est possible, sans lui rien ne se fera. Or si la majorité des chefs d’entreprise français ont clairement pris conscience de la nécessité d’effectuer cette transition numérique, ils sous-estiment visiblement l’importance de cette évolution et l’urgence de la situation. Pire, nombre d’entre eux se demandent encore si ce changement est à considérer avant tout comme une menace ou une opportunité pour leur business. Cette hésitation semble traduire un certain manque de vision et sans doute de maturité quant aux enjeux de la révolution qui s’opère. Enfin, et cela est plus compréhensible, les dirigeants redoutent l’ampleur de la tâche à accomplir, tant sur le plan humain que financier. Cette crainte légitime s’additionne aux éléments précédents et conduit beaucoup de chefs d’entreprise à effleurer le sujet de la transformation digitale ou même parfois à le reporter sine die.
3- Des capacités financières réduites
Pour 30% des répondants, c’est le « manque de marges de manoeuvre financières » qui est en cause. C’est un fait, les marges commerciales sont en France plus faibles que dans la majorité des pays européens. Elles sont en moyenne de 28% tous secteurs confondus contre 38% en moyenne en Europe. 10 points d‘écart, c’est énorme ! Il est évident que cela impacte directement les capacités d’investissement de l’entreprise et donc son aptitude à se transformer. En plus la tendance n’est pas à l’embellie et les perspectives sont au contraire des plus incertaines. Et pour ne rien arranger, la transformation digitale représentant en quelque sorte un saut vers l’inconnu, les entreprises manquent cruellement de visibilité quant au retour sur investissement qu’elles en dégageront, tant en termes de valeur que d’échéance. Une fois de plus dans cette compétition internationale, les entreprises françaises ne jouent pas à armes égales face à leurs concurrentes européennes.
4- Des freins culturels
Comme si les problèmes d’organisation, de leadership et de financement ne suffisaient pas, les entreprises françaises pâtissent également d’inhibitions culturelles qui ne favorisent pas leur transformation. La 1ère d’entre elles, notre traditionnelle défiance vis-à-vis du changement. Les Français en sont d’ailleurs conscients et classent eux-mêmes cette difficulté en 6ème position. De la même manière, quand un certain Jacques Attali explique que « la France ne sait pas se réformer », il ne faudrait pas croire que cela provient uniquement de l’Etat, mais plutôt entendre que cet immobilisme est en fait un mal français. Autre frein culturel à la transformation des entreprises, notre penchant individualiste développé dès l’école et renforcé dans le cadre professionnel. Nos organisations très cloisonnées en sont d’ailleurs l’expression la plus visible. Concurrence interne, conservation de l’information, jeux de pouvoir,… quoi qu’on en dise, admettons que l’on est très loin d’une saine collaboration. Et notre expérience personnelle ne peut que nous le confirmer. Cela laisse alors peu de place à l’esprit collectif pourtant indispensable à la transformation en profondeur de l’entreprise.
5- Un rapport faussé au digital
Dernière raison du retard des entreprises françaises et non des moindres, une vision erronée du digital héritée de « l’informatique ». Quand on parle de transformation digitale, le réflexe est souvent de penser d’abord à l’aspect technique de la chose, alors qu’il s’agit avant tout d’une révolution des services et des usages. Autrement dit, c’est la dimension métier et non technique qui est la 1ère concernée par ce chantier. Cette confusion est sans doute l’héritage de notre relation à l’informatique qui nous renvoie traditionnellement à des outils de gestion, de production, de contrôle ou de pilotage, plutôt qu’à des solutions de service client, de communication et de développement commercial. L’informatique est souvent perçue comme quelque chose de « compliqué, lourd, coûteux, ennuyeux,… », presque comme un mal nécessaire. La transformation digitale pâtit directement de cette image qui n’encourage pas les entreprises ni leurs dirigeants à s’y engager. D’ailleurs l’étude mentionnée ci-dessus fait elle-même écho à ce blocage psychologique : le « déficit de compétences numériques » est cité comme difficulté n°2 alors que nous vivons dans un pays de matheux peuplé d’ingénieurs talentueux et qu’en plus la question n’est pas là !
Le retard des entreprises françaises dans le digital s’explique donc principalement par des facteurs endogènes particulièrement difficiles à surmonter. Pourtant il faudra bien y parvenir car comme le commerce ne connaît plus de frontière (et ce, encore moins dans un monde digital), d’autres entreprises plus alertes sur cette transformation risquent bien de prendre rapidement les meilleures places.
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