Depuis l’introduction dans les années 50 du concept d’intelligence artificielle par le regretté Alan Turing, l’IA a fait bien du chemin. Ses derniers développements lui permettent même de battre l’intelligence humaine dans certains domaines tels que des jeux de culture générale (Jeopardy! avec Watson d’IBM) ou de stratégie (jeu de go avec AlphaGo de Google) Au-delà de ces quelques coups d’éclat, son champ d’application ne cesse de s’élargir et l’IA rend désormais de nombreux services tant en commerce et en finance qu’en éducation ou en médecine. Sur le plan économique, certains y voient même les germes d’une nouvelle révolution industrielle. Mais, à aujourd’hui, quel est réellement l’impact de l’intelligence artificielle sur les entreprises ? Que peuvent-elles y gagner et que risquent-elles d’y perdre ?
Voici de quoi y voir plus clair et alimenter nos réflexions sur un sujet sensible :
1- Intelligence artificielle, de quoi parle-t-on ?
D’après la norme ISO 2382-28, l’intelligence artificielle désigne la « capacité d’une unité fonctionnelle à exécuter des fonctions généralement associées à l’intelligence humaine, telles que le raisonnement et l’apprentissage ». En d’autres mots, l’IA a pour objet de reproduire les capacités cognitives du cerveau humain, à savoir l’acquisition des connaissances et leur utilisation. Au-delà du challenge technologique que constitue le développement de l’IA, c’est l’espoir de pouvoir associer la puissance sans égale du raisonnement humain à la capacité quasi infinie de mémorisation et de traitement des données de la machine. A tel point que quand les 2 ne feront plus qu’une, il ne faudra peut-être plus parler d’intelligence mais de clairvoyance 😉
Pour l’entreprise, l’IA ouvre la voie à une plus grande efficacité dans son fonctionnement ainsi qu’à une meilleure qualité dans ses services. A ce sujet, le rapport 2016 du Cigref consacré à la « gouvernance de l’intelligence artificielle dans les entreprises » souligne l’importance de mettre rapidement en route une « transition intelligente » dans l’entreprise.
2- Les principaux apports de l’intelligence artificielle
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Qualité de la relation client
Avec ses capacités cognitives, prédictives et adaptatives, l’IA est en mesure d’offrir au client une relation totalement sur mesure et à forte valeur ajoutée.
En amont, l’IA permet de prendre en compte les préférences de chaque client afin de lui faire la bonne offre au bon moment. Et plus l’IA en apprend sur son comportement ou sur celui de profils similaires, meilleurs sont ses propositions. C’est l’une des spécialités de la désormais célèbre entreprise française Criteo.
En aval, l’IA permet d’optimiser le service client en l’adaptant automatiquement aux habitudes de chacun : choix du canal de communication, fréquence des échanges, horaires de disponibilité, format de réponse,… Grâce à l’IA, l’entreprise peut ainsi capitaliser sur les échanges passés afin d’améliorer progressivement la satisfaction de ses clients.
Enfin, toujours plus fort, l’IA permettra bientôt d’anticiper les besoins clients, faisant de l’entreprise une aide précieuse dans le quotidien de ses clients, aux antipodes du stéréotype de l’entreprise mercantile.
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Aide à la décision et expertise
L’intelligence artificielle est créatrice de valeur, de qualité et d’efficacité pour l’entreprise jusque dans ses processus opérationnels.
L’un des principaux bénéfices que lui procure l’IA concerne l’aide à la décision. Qu’il s’agisse de la définition du prochain produit, du choix de la date d’un lancement commercial ou de l’emplacement d’un nouveau magasin, l’IA est en mesure de simuler chacune des options pour aider l’entreprise à prendre la bonne décision. La combinaison des savoirs acquis et des modèles prédictifs permet de connaître à l’avance la pertinence d’un choix et de décider alors en toute connaissance de cause.
L’autre apport majeur de l’IA réside dans l’expertise qu’elle confère à l’entreprise et à ses collaborateurs. Au fil de leurs diverses expériences et des données recueillies, l’IA agrège de l’intelligence qu’elle restitue ensuite, au besoin, à chaque collaborateur afin d’enrichir ses savoirs comme ses savoir-faire.
En contribuant à éclairer ses décisions et à renforcer son expertise, l’IA devient progressivement le révélateur de l’intelligence collective de l’entreprise.
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Innovation produit
S’il existe un domaine dans lequel l’IA ouvre grand le champ des possibles, c’est bien dans celui de l’innovation produit. C’est simple, il suffit de penser à un produit quel qu’il soit pour imaginer aussitôt sa déclinaison « intelligente ». A titre d’exemples, imaginez…
– un miroir intelligent qui saurait vous conseiller sur la bonne paire de lunettes par rapport à la forme de votre visage, à votre teint, à la couleur de vos cheveux, à votre style vestimentaire, etc.
– un appareil photo intelligent qui saurait estimer la valeur d’un bien (une maison par exemple) en fonction de sa taille, de son apparence, de son emplacement, des matériaux utilisés, etc.
– un réfrigérateur intelligent qui saurait ajuster automatiquement sa température (et donc sa consommation) en fonction du type d’aliments qu’il contient et de leur quantité, l’abaisser juste avant votre retour pour vous proposer une bière bien fraîche conformément à vos habitudes, vous prévenir dès qu’il manque certains aliments voire les commander directement pour vous et vous les faire livrer, etc.
Avec le développement de l’intelligence artificielle, l’entreprise a l’opportunité de repenser ses produits et services pour continuer de faire la différence sur son marché ou, mieux, augmenter sa présence tout en soignant son image, innovation oblige.
3- Les défis à relever
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Culturel
L’avènement de l’intelligence artificielle dans l’entreprise n’est pas sans conséquence sur le plan culturel. L’organisation au même titre que l’ensemble des collaborateurs va devoir adopter de nouveaux codes et de nouvelles pratiques pour permettre à l’IA de se développer au sein de la structure et délivrer son plein potentiel.
Au niveau individuel, le collaborateur doit s’habituer à « collaborer » avec la machine ou plutôt ce nouvel assistant intelligent, voire à accepter de lui déléguer certaines tâches. Cette alliance homme-machine se fera plus ou moins facilement selon les personnes mais dans tous les cas, le développement de ce type d’usages dans la sphère privée contribuera à dépasser progressivement les résistances personnelles.
Sur le plan collectif, comme l’IA a besoin de se nourrir d’un maximum de données pour gagner en intelligence, l’enjeu est de mettre en commun l’ensemble des informations, travaux, et résultats obtenus par les différentes équipes de l’entreprise. Cela nécessite que chaque équipe pense son travail de manière distribuée pour qu’il puisse servir d’entrée à d’autres équipes. Nous voilà bien loin du modèle habituel…
Ce changement de culture tant individuel que collectif se fera d’autant mieux s’il est correctement accompagné. Pédagogie, information et suivi seront de précieux atouts pour faciliter cette transition intelligente au sein de l’entreprise.
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Organisationnel
Pour bénéficier des apports de l’intelligence artificielle, l’autre changement majeur à opérer par l’entreprise est d’ordre organisationnel. Elle doit en effet comprendre que, seule, elle n’est pas en capacité de relever le défi technologique de l’IA pas plus qu’elle ne dispose de données suffisantes pour y prétendre. Il lui faut aborder cette innovation de rupture de manière participative, transversale et cross-entreprises.
Sur le plan externe, l’entreprise doit apprendre à s’ouvrir pour profiter au maximum de son écosystème, à commencer par les acteurs institutionnels (universités, laboratoires,…), les start-ups, les think tanks, voire d’autres entreprises comme elle.
De même en interne, l’entreprise a également besoin de l’apport de tous. Elle doit par conséquent rester à l’écoute de chaque collaborateur en mettant en place les bonnes interfaces pour fluidifier la circulation de l’information au sein de toute l’organisation.
De fait, le défi de l’IA ne peut être relevé que par une large communauté. C’est ce constat qui a conduit de grands acteurs tels que Google à ouvrir le code source de leur solution d’intelligence artificielle (TensorFlow en l’occurrence).
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Technologique
Au-delà des défis culturel et organisationnel, reste ce qui constitue encore aujourd’hui le principal challenge lié à l’intelligence artificielle : la prouesse technologique à accomplir. Pour l’essentiel, les systèmes cognitifs actuels peinent à imiter l’intelligence de l’homme et à reproduire la complexité du cerveau humain. Au mieux ils s’en inspirent et cela mobilise des ressources machines colossales.
Parmi les nombreux défis qui se présentent, l’IA doit notamment :
– gérer de vastes quantités de données et de situations à la fois
– rester connectée avec le monde réel et interagir avec son environnement (au moyen de capteurs notamment)
– interagir avec des utilisateurs humains en sachant expliquer son comportement pour entretenir la confiance
– assimiler en permanence de nouveaux concepts pour élargir son intelligence à un maximum de disciplines
– faire tout cela en même temps (multitâche)
Et même une fois créé ce système intelligent, reste à réussir son intégration dans la chaîne métier de l’entreprise ce qui peut se révéler tout aussi complexe !
4- Les risques à prendre en compte
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Juridique
L’émergence des systèmes intelligents soulève tout un tas de questions sur le plan juridique. En tant qu’entité responsable, l’entreprise souhaitant utiliser ce type d’innovation ne peut s’y soustraire.
L’un des principaux risques encourus réside dans la collecte et, plus généralement, le traitement de données à caractère personnel et privé. L’entreprise a en effet des obligations vis-à-vis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) dès lors que des données à caractère personnel sont collectées et traitées par l’intelligence artificielle. Pour chaque traitement mis en oeuvre, elle doit notamment s’assurer que la finalité du traitement est déterminée, explicite et légitime, assurer la sécurité et la confidentialité des données enregistrées, informer les personnes concernées de leurs droits, et même limiter la conservation des données dans le temps. Le non-respect de ces principes est passible d’une amende de 300 000 euros et de 5 ans d’emprisonnement, ces peines pouvant même quintupler en cas de reconnaissance de la responsabilité pénale de l’entreprise.
De même, la question de la responsabilité en cas de litige ou de dommages impliquant une intelligence artificielle est un point totalement nouveau. En cas de problème, qui est tenu pour responsable : l’entreprise, l’utilisateur, l’agent intelligent, son concepteur,… ? Le droit reste à écrire dans ce domaine et, en attendant, il n’est pas simple pour l’entreprise de se positionner et de maîtriser les risques.
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Ethique
Le développement de l’IA pose également de nombreux enjeux sur le plan éthique. On peut s’interroger notamment sur la place de l’homme à l’avenir, sur l’importance qui sera allouée à sa capacité d’analyse ou sur la liberté qu’il conservera pour avoir le dernier mot face aux conclusions implacables de la machine. L’intelligence artificielle fera-t-elle un jour concurrence à l’intelligence humaine ? Lui fera-t-elle de l’ombre ? Si oui, comment l’homme préservera-t-il son libre arbitre ? L’entreprise, aussi bien intentionnée soit-elle dans la mise en œuvre de systèmes intelligents, ne peut échapper à ces questions. Elle doit au contraire contribuer à y répondre en apportant, à son niveau, une part de la solution.
L’autre interrogation de fond, qui donne souvent lieu à controverse, concerne l’avenir de l’emploi. Face à des machines de plus en plus intelligentes et à l’automatisation croissante, de nombreuses études annoncent la destruction de près de la moitié des emplois salariés en moins de 20 ans ! Certes, d’autres études prévoient la création en parallèle de nouveaux postes et métiers mais dans des proportions moindres. En tant que 1er employeur, l’entreprise a donc une immense responsabilité et un rôle prépondérant à jouer pour accompagner en douceur cette conversion de la société vers ce que certains appellent déjà l’économie du partage.
Face aux prometteuses perspectives business offertes par l’IA et malgré les défis et risques que cela induit, l’entreprise sera probablement le principal artisan de l’intelligence artificielle dans notre quotidien. Elle doit par conséquent s’attendre à être sur ce sujet d’évolution majeure au cœur des débats comme au cœur de l’action !
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