Quel rapport me direz-vous ? Et bien si l’on compare les changements requis par la transformation digitale de l’entreprise et les pratiques prônées par l’entreprise libérée, on observe d’étranges similitudes. Y aurait-il alors intérêt à se rapprocher du modèle libéré pour faciliter sinon réussir sa digitalisation ? Pour en juger, regardons de plus près ce que représente la libération de l’entreprise puis faisons le parallèle avec la culture digitale.
1- Qu’est-ce que l’entreprise libérée ?
La notion d’ « entreprise libérée » a été introduite en 2009 par Isaac Getz, professeur à l’ESCP Europe, concept qu’il a ensuite théorisé dans son ouvrage « Liberté & Compagnie, quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises » co-écrit par Brian Carney.
Getz est parti d’un constat simple mais préoccupant : l’immense majorité des salariés va au travail à reculons (89% d’entre eux d’après l’étude Gallup réalisée en 2011 sur l’engagement des salariés en France). Pour expliquer les raisons d’un tel désamour, il met en cause l’organisation traditionnelle des entreprises et les méthodes de management qui vont à l’encontre des 3 besoins fondamentaux et universels de l’homme que sont :
- L’égalité intrinsèque : être traité avec considération, respect, bienveillance et confiance
- Le développement personnel : exploiter son potentiel, acquérir de nouvelles compétences, s’épanouir
- L’auto-direction : ne pas être contrôlé, qu’on ne lui dise pas quoi faire
L’entreprise libérée se pose alors comme alternative au modèle classique traditionnellement fondé sur une structure pyramidale où relations hiérarchiques, procédures et contrôles règnent en maîtres.
Dans l’entreprise libérée au contraire, « les salariés sont libres et responsables d’entreprendre toutes les actions qu’ils estiment les meilleures pour l’entreprise » nous dit Getz. On y prône l’autonomie du salarié, sa liberté d’action, d’initiative et d’organisation. On lui fait confiance pour atteindre ses objectifs comme bon lui semble, en partant du principe que « c’est celui qui fait qui sait ». Il appartient donc à chacun de décider pour lui-même. Et le corollaire, c’est qu’on lui octroie le droit de se tromper. Une véritable révolution culturelle !
Résultat, le salarié est responsabilisé et s’implique beaucoup plus. Il ne fait plus les choses bien parce qu’on les lui a demandées, mais parce qu’il a une bonne raison de les faire. En trouvant ainsi sens à ce qu’il fait, il s’investit personnellement dans sa mission.
Pour l’entreprise, cet état d’esprit permet d’avoir des employés engagés, dynamiques, s’épanouissant dans leur travail et offrant le meilleur d’eux-mêmes. Cette énergie constructive confère à l’entreprise libérée de la créativité, de l’agilité et au final de la performance, autant de qualités essentielles dans le monde très concurrentiel et en constante évolution que nous connaissons.
Parmi les pionniers français de l’entreprise libérée, citons les sociétés FAVI, Sogilis, Chrono Flex, Bretagne Atelier, Biose, SYD Conseil ou encore le groupe Poult. A l’international, les exemples les plus aboutis nous sont offerts par les entreprises américaines Gore, Morning Star et Zappos ou, dans un autre registre, le Ministère de la Santé belge.
2- En quoi libérer l’entreprise contribue de fait à sa digitalisation ?
Libérer l’entreprise permet de replacer le client en son centre
Pour réussir sa transformation digitale, l’entreprise doit notamment se recentrer autour du client et de sa satisfaction. Celui-ci doit pouvoir disposer de toute l’information dont il a besoin, rentrer en contact et interagir avec l’entreprise à tout moment, de n’importe où, et par n’importe quel moyen.
En cassant le modèle hiérarchique classique et en redonnant le pouvoir au salarié, l’entreprise libérée donne la priorité à celui qui sert le client. Dans cette approche, l’entreprise se tourne entièrement vers le client et toute action engagée n’a de sens que si elle lui apporte une réelle valeur. L’entreprise libérée adopte ainsi le principe de la « pyramide inversée » :
Libérer l’entreprise brise les silos et transcende la collaboration interne
Pour s’accomplir, la transformation digitale de l’entreprise s’accompagne d’un changement radical d’organisation dont le but est de donner une toute nouvelle dimension à la collaboration interne et à la transversalité au sein de l’entreprise.
En substituant un fonctionnement horizontal au modèle vertical, l’entreprise libérée permet de décloisonner l’entreprise, de rompre avec l’hyper spécialisation des services et de porter un coup fatal à l’individualisme. L’heure est à l’énergie collective et à la polyvalence. La collaboration, le partage d’informations et le transfert de compétences prennent ici tout leur sens.
Dans l’entreprise libérée, le rôle même du management est transformé. Le manager devient en effet un « leader jardinier » dont l’objectif est d’aider ses collaborateurs à atteindre les leurs. Il n’est plus celui qui sait mais celui qui tire son équipe. Il facilite les échanges et crée les ponts permettant de développer l’intelligence collective de l’entreprise.
Libérer l’entreprise confère un maximum d’agilité et de réactivité à l’entreprise
Avec la révolution numérique, tout s’accélère : la mise sur le marché des produits, l’acquisition mais aussi la perte potentielle de clients, la réaction des concurrents, etc. Pour en profiter sans en subir les conséquences, l’entreprise doit impérativement apprendre à gagner en vitesse et en flexibilité.
En permettant à chaque salarié de prendre des initiatives sans en demander l’autorisation, en lui reconnaissant le droit à l’erreur, mais aussi en le responsabilisant par rapport à l’intérêt général de l’entreprise, l’entreprise libérée s’offre la possibilité d’agir beaucoup plus vite et encourage l’innovation. Cela lui confère une capacité d’adaptation au marché incomparable au modèle traditionnel.
3- Pour perdurer, l’entreprise doit-elle alors se libérer ?
S’il ne fait aujourd’hui plus débat que l’entreprise doit se digitaliser pour s’inscrire dans l’avenir, cela implique-t-il qu’elle doive automatiquement se libérer ?
Peut-être bien. Dans tous les cas, cela ne pourra que l’y aider car, comme nous l’avons vu, les pratiques utilisées par l’entreprise libérée et celles exigées par l’ère digitale sont compatibles voire similaires. D’ailleurs s’il fallait encore s’en convaincre, il suffit d’observer que les entreprises ‘digital natives’ ont naturellement adopté ce modèle dès leur création !
Mais pour se libérer, l’entreprise a besoin de changer en profondeur sa propre culture. Il sera donc préférable qu’elle opte pour une démarche d’amélioration continue de type « Kaizen » (ou ‘méthode des petits pas’) pour se donner toutes les chances de réussir progressivement un tel ‘renversement’ 😉
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