La révolution numérique bouleverse la société des hommes dans toutes ses dimensions : économique, sociale, politique, culturelle,… rien n’y échappe. Son impact est si fort que c’est le modèle même de société qui va devoir évoluer. Mais les avis divergent pour savoir si cette transformation sera plutôt créatrice ou destructrice.
Quels sont donc les principaux changements que cette révolution va provoquer, les problèmes que cela soulève et les solutions qu’il faut envisager ?
Et, fort de cette analyse, doit-on finalement s’en réjouir ou s’en inquiéter ?
1- Un changement inéluctable
Le monde du travail que nous connaissons aujourd’hui va être confronté à 3 déferlantes qui, une fois combinées, produiront un véritable tsunami qui le transformera comme jamais :
- la robotisation : c’est la poursuite de l’effort engagé au XIXème siècle par la révolution industrielle et la machinisme, enrichi par le développement du numérique. Elle provoque la disparition des emplois principalement dans le domaine de la production.
- la ‘sobotisation’ (software robots) : il s’agit de l’automatisation progressive d’un maximum d’opérations de plus en plus complexes. Elle provoque la disparition des emplois principalement dans le domaine des services, à commencer par les moins qualifiés.
- l’avènement de l’IA, LA véritable innovation de rupture qui permettra d’égaler puis de dépasser l’homme sur sa principale qualité distinctive : sa capacité d’adaptation. Il n’y a pas de raison que la plupart des emplois restants, même parmi les plus qualifiés, en réchappent à terme.
Les bouleversements engendrés par la combinaison de ces 3 innovations majeures vont dynamiter le modèle actuel d’emploi de masse, laissant place à un monde nouveau où le travail ne sera plus l’apanage de l’homme.
C’est ce qu’annonce de nombreux chercheurs, essayistes et philosophes parmi lesquels le français Bernard Stiegler qui prédit dans son ouvrage « La société automatique » la fin prochaine du capitalisme industriel. C’est aussi ce que semble démontrer de nombreuses études parmi lesquelles celle réalisée en 2014 par le cabinet Roland Berger qui souligne que 42% des métiers en France présentent une forte probabilité d’automatisation d’ici 20 ans, et que 3 millions d’emplois pourraient être détruits à l’horizon 2025 !
Dans ces conditions, Monsieur le Président, difficile d’espérer pouvoir encore « inverser la courbe du chômage ».
2- La myopie des responsables politiques
Malgré de telles prévisions, nos dirigeants s’entêtent à vouloir conserver un travail pour tous. Le problème, c’est qu’une mauvaise question ne peut trouver que de mauvaises réponses :
Pour les uns, la solution consisterait à partager le travail. Cette perspective semble à la fois :
– irréaliste : le travail n’est pas un ensemble fini qu’on pourrait répartir une fois pour toute, mais à l’inverse une matière vivante évoluant en permanence et dont la subdivision arbitraire provoquerait immanquablement d’importants déséquilibres
– contre-productive : éclater artificiellement un travail sur plusieurs personnes risquerait fortement d’en compliquer l’exécution
– sans issue : comme évoqué précédemment, il y aura de moins en moins de travail à partager
Pour les autres, la solution consisterait à créer avec le numérique autant de nouveaux emplois que ceux détruits. Les partisans de cette approche prennent pour exemple la révolution industrielle qui, malgré l’arrivée en force des machines, a permis de développer l’emploi. La différence fondamentale dans le cas présent, c’est que nous ne cherchons pas à produire plus, mais avant tout mieux et pour moins cher. Dans cette optique, l’homme avec ses risques inhérents et ses coûts importants se retrouve totalement hors-jeu. Et les mêmes causes produisant les mêmes effets, l‘industrie des services suivra progressivement la même logique.
De toute façon, après avoir tant œuvré pour réduire la durée du travail et sa pénibilité, pourquoi faudrait-il maintenant se battre pour le préserver à tout prix alors que l’homme va enfin pouvoir s’en débarrasser ? Pour mémoire, le mot travail vient du latin « tripalium » qui désigne un instrument de torture. Nous aurions tort de l’oublier.
Mais alors, si le problème n’est pas (plus) là, sur quoi faut-il porter l’effort ?
3- Le véritable enjeu
Plutôt que la préservation d’un travail pour tous, la question centrale concerne la redistribution des richesses. Cet enjeu est de taille et représente un vrai défi pour l’avenir de notre société.
Jusqu’à présent, le modèle consiste à répartir l’essentiel des richesses selon le travail accompli. Enfin ça c’est la théorie, car si on se rappelle que 90% des richesses dans le monde sont aujourd’hui captées par seulement 10% de la population, on peut légitimement douter de sa bonne application.
Mais demain, plus de travail, donc plus de repère. Dans ce contexte inédit, comment assurer une saine redistribution des richesses ?
Pour y parvenir, un changement d’idéal de société est nécessaire. Il faudrait en effet passer du désir de possession au désir de partage. C’est la vision exprimée par l’essayiste américain Jérémy Rifkin dans son ouvrage « La société du coût marginal zéro ». Il prévoit un passage progressif à un « âge collaboratif » qui permettra d’instaurer un nouvel équilibre sociétal. Bernard Stiegler va dans le même sens et appelle cela « l’économie de la contribution ». Cette nouvelle ère verra foisonner les initiatives collaboratives permettant à chacun de trouver et prendre sa place dans la société selon ses aptitudes et ses motivations.
Dans cette « société du partage », la redistribution des richesses s’effectuera naturellement d’individu à individu au travers de très nombreux échanges. Il n’est pas question ici d’égalitarisme, mais d’équilibre naturel et d’équité.
Mais alors, comment favoriser l’avènement de ce ‘new deal’ ?
4- Les raisons d’espérer
La bonne nouvelle, c’est que la transformation digitale que nous vivons actuellement pose les fondations de cette future société du partage. Car au-delà de la révolution numérique, c’est en réalité une révolution des mœurs qui s’opère.
Les exemples sont légion pour illustrer l’émergence d’une toute nouvelle culture :
- le partage d’informations, d’idées, et d’opinions via les blogs, les réseaux sociaux, les commentaires en ligne, etc.
- le partage des savoirs et savoir-faire via les MOOC
- la mise en commun des compétences via les réseaux sociaux d’entreprise
- la participation au financement via les plateformes de crowdfunding
- l’échange ou la redistribution d’objets et de services via les sites de troc ou d’occasion…
Même le pouvoir est désormais partagé si l’on considère, comme le regretté généticien et essayiste français Albert Jacquard, qu’il réside dans notre capacité à influencer les autres. Ce véritable pouvoir n’a jamais été autant démocratisé qu’avec le digital qui offre la possibilité à chacun de s’exprimer librement et de toucher potentiellement des millions de personnes.
Bref, dans tous les domaines, le digital contribue et encourage à partager plutôt qu’à détenir. C’est en quelque sorte la révolution dans la révolution.
Ce changement radical de perspective incarné par les nouvelles générations est notre meilleur atout pour réussir notre mutation vers la société du partage. Il en va de notre capacité future à redistribuer équitablement les richesses produites par le numérique, gage de stabilité pour le monde à venir.
Comme quoi la révolution numérique qui aura mené le monde que nous connaissions à sa perte porte en son sein les germes de sa renaissance.
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